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“Article 353 du Code pénal” : magistral Vincent Garanger

Helène Kuttner 23 janvier 2025
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©JeanLouisFernandez

Emmanuel Noblet adapte et met en scène le fascinant roman de Tanguy Viel, basé sur « l’intime conviction » des juges et des jurés lors d’un procès criminel. Face au juge campé par le metteur en scène et dans un décor sauvage, Vincent Garanger se révèle magistral en meurtrier au bout du rouleau, condamné à se faire justice pour sauver son honneur et son fils. 

Des vagues de trois mètres

Quand un grand texte rencontre un grand comédien, unis par le talent d’un metteur en scène qui plonge dans les affres d’une histoire tragique et belle, cela donne un spectacle totalement réussi. C’est le cas de cette création signée Emmanuel Noblet, comédien et metteur en scène qui avait déjà remporté, avec Benjamin Guillard, le Molière du meilleur seul-en-scène pour son adaptation de Réparer les vivants de Marylis de Kerangal en 2017. Dans le superbe roman de Tanguy Viel paru aux Editions de Minuit, Martial Kermeur est un anti-héros au bout du rouleau. Il vient de balancer le corps de Lazenec, un homme d’affaires véreux, dans la rade de Brest. Et devant le juge qui l’interroge durant une heure et quarante minutes, il va dérouler le fil labyrinthique d’une histoire individuelle, intimement liée à l’histoire sociale et politique d’une presqu’île située à l’extrême ouest de la Bretagne. 

Des rêves d’investissement

©JeanLouisFernandez

Vincent Garanger est Kermeur, cet ouvrier chômeur, divorcé et qui a la garde de son fils de 17 ans aujourd’hui. Son entreprise a limogé tout le personnel, elle s’est délocalisée et la région souffre de déshérence financière. L’aubaine est arrivée comme un miracle, en la personne d’un brillant promoteur immobilier, Antoine Lazenec. Il déboule en Porsche dans le bourg médusé, porte des costumes clairs et des chaussures à bout pointu, il sourit et embobine tous ceux qui sont prêts à mouiller leur chemise dans une juteuse aventure : celle de la construction d’une résidence de luxe, avec terrasses et piscine, à la place de l’ancien château. Le maire fonce dans le projet, non sans utiliser l’argent des contribuables. Et Kermeur, comme vingt neuf autres camarades au chômage, débourse tout l’argent reçu après sa rupture conventionnelle, certain de pouvoir engranger de gros bénéfices très rapidement.

Une scénographie en haute mer

©JeanLouisFernandez

La résidence ne sera jamais construite, et l’argent versé par la trentaine de doux candides sera utilisé par Lazenec pour acheter de superbes bateaux. Les deux comédiens se font face, débout, dans la rade caillouteuse d’un terrain face à la mer. Emmanuel Noblet campe un juge précis, concentré, le visage plissé par ce qu’il est en train de comprendre. Vincent Garanger habite de manière bouleversante ce héros perdu, qui baisse d’abord la tête, comme un condamné mené à l’abattoir. C’est un animal traqué qui prend soudain la puissante d’un lion, qui explique, se confie, pleure, se moque de lui-même et de sa candeur. Quand on est chômeur, divorcé, et qu’on a la charge d’un gamin de quatre ans, qu’a-t-on à perdre ? L’alcool et le vent, la houle et l’argent, quelques bons vins blancs et des restaurants gastronomiques l’ont emballé. Une nouvelle vie s’offrait à lui et à son fils, il allait pouvoir en profiter. Avec une simplicité remarquable, l’acteur donne chair à ce personnage digne de Victor Hugo, dans un voyage rugueux et déchirant au bout de sa propre vie. Ce qu’il raconte dépasse bien sûr une seule vie d’homme, et le juge, par l’interprétation subtile de l’article 353 du Code de procédure pénale, va enfin l’entendre. Superbe.

Hélène Kuttner 

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